Si Boutet signifie une petite outre, un homme haut comme trois
pommes ou un bouton nain, le canadien Jean Boutet n’en demeure pas
moins un ancêtre normal et sympathique.Plus d’une personne portant
ce patronyme vint au pays. Martin Boutet, sieur Saint-Martin, fut le
premier de ce nom à remonter le Saint-Laurent, en 1643. Ce Normand
aux talents polyvalents fut soldat, tailleur d’habits, menuisier et
même professeur de mathématiques, d’arpentage et de navigation au
collège des Jésuites à Québec. Époux de Catherine Soulange, à
Saintes en Saintonge, vers 1640, le sieur Saint-Martin perdit sa
compagne après 1654. L’aînée de ses filles, Catherine, devint la
conjointe de Charles Philippeau, le 19 mai 1654, et mère de trois
garçons. Marie, la cadette, entra comme novice chez les Ursulines,
le 15 septembre 1658. Michel Boutet dit Lépine, un limousin, signala
sa présence parmi nous, au recensement de 1667, et par son mariage
célébré à Québec avec Anne Deschamps, une fille du roi, le 29
octobre 1669, Ce couple fut sans postérité. René Boutet, originaire
de Ste-Gemme-la-Plaine près de Fontenay-le-Comte, apparaît à la
ville de Québec comme charretier, en 1689. Le 26 février 1691,
Marie-Madeleine Lussé l’accepte comme époux et lui donne un enfant
baptisé sous le prénom de René. En 1692, René, père, décède. Sans
descendance, semble-t-il. La nièce de Martin Boutet, Marie-Madeleine
Boutet, arriva en Nouvelle-France comme fille protégée par le
roi. Le 15 septembre 1664, elle épousait, à la cathédrale de Québec,
Gervais Bisson. Cette mère de douze enfants possède de nombreux
descendants parmi nous. Enfin, venons-en à Jean Boutet.
De Saint-Hilaire
Lors de son contrat de mariage devant le notaire beauportois
Paul Vachon, Jean Boutet fit écrire ceci : fils de défunt Guillaume
et de défunte Marie Beuf, ses père et mère, de la paroisse de
Saint-Hilaire-sur-L’Autize, Poitou évêché de La Rochelle. Rien de
Plus certain, Jean Boutet était un orphelin originaire de Poitou,
ancienne province de France, aujourd’hui territoire couvrant trois
départements : la Vienne, la Vendée et les Deux-Sèvres.
Quelle est donc cette paroisse de Saint-Hilaire-sur-L’Autize?
L’Autize n’est autre qu’une rivière branchée sur sa source près de
Le Retail. Elle coule vers sud-ouest en passant par Champadeniers,
Saint-Hilaire-des-Loges, en Vendée, pour se jeter ensuite dans la
Sèvre Niortaise, en Charente-Maritime. Le R.P. Archange Godbout a
trouvé la réponse. Il s’agit de Coulonges-Les-Royaux, aujourd’hui
Coulonges-sur-L’Autize, arrondissement de Niort, département des
Deux-Sèvres. En effet, c’est là que les parents de l’ancêtre,
Guillaume Boutet et de Marie Jeanboeuf, s’étaient mariés le 25
novembre 1654, devant le prieur Bonnet. Cette Localité,
pensons-nous, devait plutôt relever de l’autorité épiscopale de
Saint-Hilaire de Poitiers. Le nom de famille de la mère de Jean
Boutet était Marie Beuf comme dans Brébeuf ou Jeanboeuf. C’est en
l’honneur de leur aïeule française que des descendants, dès la
seconde génération, portent le surnom Leboeuf. En France, Leboeuf
évoque l’idée de force et de corpulence. Il existe dans plusieurs
noms composés comme Samboeuf, Paimboeuf, etc.
Seigneurie Saint-Gabriel
C’est à la seigneurie Saint-Gabriel que nous trouvons Jean
Boutet, le 12 août 1687, lors de son contrat de mariage devant le
notaire Paul Vachon. C’est là également qu’il écoulera toute sa vie
canadienne. Le seigneur Giffard obtint trois seigneuries : Beauport,
le 15 janvier 1634; Saint-Gabriel, le 16 avril 1647; Mille-Vaches,
le 15 novembre 1653. La seigneurie Saint-Gabriel, concédée par la
Compagnie de la Nouvelle-France, couvre le territoire actuel de
l’Ancienne et Jeune Lorette, de Valcartier, etc. Le 13 mars 1651, on
en détacha plus de deux lieues et demie de front pour les donner aux
hurons. Le 2 novembre 1667, vingt ans avant l’apparition de Jean
Boutet, Giffard donna tout ce qui restait de cette seigneurie aux
Jésuites. Lors du contrat de mariage de Jean Boutet et de Marie
Guérin, les parents de la future épouse, Clément Guérin et de
Perrine Coirier, demeurant au village Saint-Antoine dans la
seigneurie Saint-Gabriel, donnent à leur futur gendre un arpent et
demi de front de leur ferme. Ils ajoutent même une génisse et une
taure. Marie recevra un habit selon sa condition. Jean travaillera
pour le compte de ses beaux-parents, pendant un an. Ils le logeront
et nourriront. Ainsi débuta la vie de Jean Boutet en terre
québécoise. Le 11 avril 1689, Jean < demeurant au petit St Antoine >
s’engagea à travailler pour Jean Giron, époux de Madeleine
Deschalets, du 23 mai à la toussaint prochaine. Il se réserva
cependant quinze jours libres pour faire ses propres récoltes.
C’était pour Jean une manière d’obtenir un revenu complémentaire et
secourable. Hubert et Leroux signèrent comme témoins cet engagement
parafé par Gilles Rageot.
Guérin-Boutet
L’aïeule des Boutet,
Marie Guérin, naquit à Charlesbourg, le 2 mai 1673. L’abbé
Charles-Amador Martin la baptisa le jour suivant. Pierre Coirier,
son oncle, natif de St-Hilaire en Vendée, veuf d'Anne Brunet, père
de quatre enfants, lui servit de parrain en compagnie de la jeune
Marie Bédard, fille de l’ancêtre Isaac. L’abbé Louis Ango Des
Maizerets transcrivit l’acte dans le registre de Notre-Dame de
Québec. Marie était la quatrième d’une famille de dix. Ses parents
d’origine poitevine s’étaient mariés à la Petite-Auvergne de
Charlesbourg, vers 1665. Lorsque Jean et Marie se présentèrent
devant l’abbé François Dupré, à Québec, pour recevoir la bénédiction
nuptiale, le lundi 6 octobre 1687, deux témoins d’origine inconnue
apparaissent François Chafeteau et Jean Bouet. Cependant, les deux
autres sont plus faciles à identifier : René Rampillon, maître
cordonnier, célibataire endurci, et Étienne Janneau, également
poitevin, futur notaire royal de La Pocatière.
Les Guérin-Boutet vécurent une douzaine d’années sur la portion de
terre héritée des Guérin, au petit Saint-Antoine de la seigneurie
Saint-Gabriel. Le 15 janvier 1699, ils pensèrent bien faire en
vendant leur habitation d’un arpent et demi de front par vingt de
profondeur, avec tout ce qu’elle leur avait coûté de sueur, à Joseph
Brousseau, époux de Marie Anne Gaudreau, père de deux petites
filles. L’acheteur versa illico 211 livres comptant, et les 89
livres restantes, le 4 mars suivant. Le 25 novembre 1700, les
Jésuites, représentés par le R.P François Vaillant de Gueslis,
concédèrent une terre aux Boutet, < seize en la route et côte
Saint-Martin Seigneurie de Saint-Gabriel > bornée par-devant à la
rivière Saint-Charles et par-derrière aux habitations de Lormière.
Les voisins se nommaient René Duchesneau dit Sansregret et un
dénommé Desmoulins. Leur nouvelle demeure se trouvait dans la
paroisse de Charlesbourg, village de Pincourt. C’est là du reste
qu’ils continuèrent à travailler d’arrache-pied pour boucler les
deux bouts de leur humble budget.
Génération charlesbourgeoise
Tous les enfants de Jean Boutet et de Marie Guérin furent
baptisés à Charlesbourg. C’est également là que la majorité des
sujets de la seconde génération contracta mariage et adopta cette
terre comme linceul. Ils étaient charlesbourgeois de sang, de cœur
et d’esprit, Jean, Louis, Pierre, Étienne, Julien, Simone,
Jean-Baptiste, Marie-Jeanne, René-Marie et la cadette anonyme, trois
filles et sept garçons. Filleul de Jean Mérieu dit Bourbon, Jean,
baptisé le 25 janvier 1690, ne vécut que l’espace
de quelques jours. Louis, parrainé par Louis Renaud le 5 décembre
1691, n'a laissé aucune trace. Il dut mourir jeune. Pierre
Boutet, né le 30 avril 1694 au village St-Antoine, eut la chance de
s’épanouir normalement. Le 6 février 1719, à Charlesbourg, il épousa
Geneviève Marquet dit Clocher, fille de Louis et de Michelle
Tessier, de qui il eut neuf sujets. Après le décès de sa première
femme survenu à la fin d’octobre 1736, Pierre convola en secondes
noces, à Charlesbourg, le 16 juin 1738, avec Marie Madeleine Déry,
veuve d’Étienne Magnan, mère de quatre enfants dont deux vivants.
Hélas! Leurs dix rejetons Déry-Boutet quittèrent presque tout le
pays de la vie avant de laisser le berceau.
Quatrième fils
Boutet, Etienne, baptisé le 2 novembre 1696 par l’abbé Alexandre
Doucet, atteignit l’âge de six ans et demi. Il fut inhumé le 31 mars
1703. Ce fut probablement le deuil le plus cruel survenu dans la
famille Boutet. Quant à Julien, qui reçut son prénom de Julien
Brosseau le 10 mai 1699, il fut plus chanceux, À L’Ancienne-Lorette,
le 16 janvier 1729, Marguerite Girard dit Breton, fille d’Étienne et
de l’amérindienne Catherine Degré, l’acceptait comme époux devant
une dizaine de témoins signalés au registre par l’abbé Jacrau. Le
couple inscrivit dans son agenda d’années fécondes onze nouveaux
noms Boutet. Julien fut inhumé à Charlesbourg, le 17 janvier 1777.
Sa sœur Simone, filleule de Simone Brosseau le 9 juillet 1702,
devint le 13 janvier 1727 la conjointe de Charles Duret, fils de
Jacques et de Catherine Jasmin. Elle mit au monde deux fils et trois
filles, avant son décès rapporté en l’année 1734.
Jean-Baptiste, né le 1er janvier 1704, alla chercher sa
compagne de vie chez les Duret, lui aussi. Mariage à Québec, le 4
août 1732. Ursule Duret planta dans le jardin de leurs amours
quatorze tiges de vie presque toutes fanées avec les premières
gelées de la mort, à Charlesbourg. Jean-Baptiste fut enterré le 2
avril 1782. Marie-Jeanne Boutet, née à Pincourt le 19 novembre 1706,
filleule de sa tante Jeanne Guérin, femme de René Duchesneau, se
maria avec Pierre Chupin, le 13 février 1736. Couple sans postérité.
Marie Jeanne fut mise en terre à Québec, le 20 juillet 1744. L’oncle
René Duchesneau légua son prénom à René-Marie Boutet, le 3 décembre
1709, à l’église Saint-Charles de Charlesbourg. Ce René-Marie semble
avoir été choyé de sa mère, parce qu’il demeura longtemps
célibataire et au service de sa famille. Ce n’est que le 23 janvier
1741qu’il embrassât l’état du mariage en partageant son cœur avec
celui de Marie-Élisabeth Hileret ou Liret, née à Charlesbourg le 1er
novembre 1720, fille de Henri et orpheline de mère, Anne-Élisabeth
Vivier, depuis sa tendre enfance. Dix rayons de soleil vinrent
illuminer le berceau Liret-Boutet. René-Marie descendit au cimetière
le 28 septembre 1770, près de l’endroit où il avait été fait enfant
de l’Église, plus de soixante ans auparavant. Enfin, la cadette
Boutet ne goûta à la vie que l’espace de quelques heures à peine;
Simon Savard l’ondoya à la maison Boutet, Son petit corps anonyme
fut déposé dans le charnier, le 14 janvier 1713. Ainsi se présente
la couronne charlesbourgeoise Boutet dans l’histoire de cette
famille, comparable à une plante vivace soumise aux intempéries
imprévisibles des saisons.
L’Âge d’or
L’âge d’or, dans la
pensée de nos contemporains, ne se mesure pas tant par le nombre de
carats contenus dans l’alliage des ans qui s’accumulent, mais par un
potentiel de paix, de sécurité et de contentement devant le devoir
accompli. Les Boutet avaient bien rempli leurs obligations et
avaient enrichi la patrie. Leur conscience était en paix. Mais ils
possédaient beaucoup moins de sécurité que les gens de notre
génération. Ils devaient lutter pour survivre jusqu’à la limite de
leurs forces; ce qu’ils firent. D’après le plan des terres tracé par
catalogne en 1709, la ferme Boutet avoisinait celles de Pierre
Allard et de Jean-Baptiste Proteau, dans Charlesbourg. Et, le 29
septembre 1710, d’après un contrat rédigé par le notaire Louis
Chambalon, Jean devint voisin de Pierre Sasseville, acheteur de la
terre de Pierre Brosseau et de Thérèse Bernard. Clément Guérin
décéda, le 7 juin 1711, et son épouse, Perrine Coirier, le 19
décembre 1714, à Charlesbourg. Madame Boutet hérita de la sixième
partie des biens de ses parents ou d’un demi-arpent et six pieds de
terre de front par plus de douze arpents de profondeurs. Le 15 avril
1718, Marie et Jean vendent cette portion d’héritage sur laquelle il
y a une maison couverte de la paille. Jean Boutet déclare qu’il a dû
utiliser ce fourrage pour nourrir ses animaux, qui sans doute
n’étaient pas des pur-sang! Vincent Cliche, mari de Marie-Anne
Choret, acquéreur, exige de Jean qu’il répare le dégât en recouvrant
cette maison avec des écorces. La vente rapporta 204 livres au
pauvre homme et à sa femme. Ils affirmaient en avoir besoin pour
acheter du blé de semence afin de faire subsister la maisonnée dans
une grande nécessité. Jean Boutet franchissait alors le cap des 68
ans ; il possédait environ quinze arpents en culture.
Douze ans plus tard, la plume d’oie du curé Pierre-René Le Boulanger
de Saint-Pierre nous apprend que, le 1er septembre 1732,
a été inhumé dans le cimetière de Charlesbourg Jean Boutet âgé
d’environ cent ans, mort du jour d’hier après avoir reçu tous les
sacrements. Si Jean, octogénaire, avait l’allure d’un centenaire, il
en avait aussi les mérites. Il dépassait l’âge d’or. Veuve Marie
Guérin se départit de la moitié de sa concession et se donna corps
et biens à son fils René, le 16 juillet 1736. Prodige de ténacité!
Marie retint son souffle jusqu’en 1759. Elle fut inhumée le 25
octobre, à Charlesbourg. Le prêtre aurait pu écrire dans le registre
: mission accomplie! 88 ans! Son mari et plusieurs de ses enfants
l’attendaient sur le perron du bourg du Ciel. Les enfants de ses
enfants la pleurèrent sur ce coin de terre appelé Charlesbourg,
petite patrie des Boutet canadiens.